Nous relayons cet article scientifique intitulé « Rethinking AI in Education: Highlighting the Metacognitive Challenge » (2025), signé par Ilya Levin, Michal Marom et Andrei Kojukhov proposant une vision ambitieuse de l’intégration de l’intelligence artificielle générative (IAg ou GenAI en anglais) dans la formation. Loin de se contenter d’évaluer les apports purement techniques de ces outils, les auteurs plaident pour une refondation pédagogique centrée sur le développement de compétences métacognitives spécifiques, qu’ils nomment « compétences méta-IA » (meta-AI skills), particulièrement alignées avec les compétences du XXIe siècle comme la résolution de problème, le développement de l’esprit critique et la réflexivité.
L’article tâche de démontrer que les compétences méta-IA sont devenues essentielles pour appréhender les bouleversements introduits par l’IAg en éducation, à travers 8 sections : 1) la transformation de l’environnement d’apprentissage en « terrain de jeu cognitif », 2) le passage d’une logique déductive à une synthèse guidée par les données, 3) l’évolution des paradigmes de la recherche scientifique, 4) le basculement de traitements symboliques vers l’indexicalité de l’information, 5) la mise en lumière des savoirs tacites via les interactions avec l’IA, 6) la stimulation de la conscience métacognitive par le recours à la multimodalité, 7) le rôle de l’enseignement de l’IA dès le plus jeune âge, et enfin 8) les implications concrètes pour les enseignants en matière de formation et de pratiques évaluatives.
Si vous n’avez pas la trentaine de minutes qu’il faut pour lire cet article, on vous partage ce petit podcast réalisé avec NotebookLM, à titre d’illustration de cette interaction multimodale avec les contenus de savoir qui nous est aujourd’hui accessible lorsque l’on cherche à explorer, comprendre et apprendre à partir de sources sélectionnées.
Et sinon, voici quelques axes de questionnement extraits du texte que soulèvent cet article pour une synthèse et un partage des pistes de réflexion avancées par les auteurs :
Pourquoi l’IAg change la donne pédagogique ?
Avec ses réponses variables, adaptatives et multimodales, l’IAg n’est plus un outil stable ou si prévisible que ça. Elle oblige à sortir d’une logique d’exactitude pour entrer dans une dynamique de questionnement et de dialogue. Cela implique que les apprenants doivent apprendre à interagir stratégiquement avec l’IA : formuler des requêtes efficaces, évaluer la pertinence des réponses, les croiser, les affiner.
Les enseignants aussi doivent selon les auteurs ajuster leur posture : il ne s’agit plus de transmettre un savoir fixe, mais d’accompagner les apprenants dans des interactions complexes avec des systèmes eux-mêmes en perpétuelle transformation.
Le message clé : former à penser avec l’IA
Ce que défendent les auteurs, c’est une littératie spécifique : les compétences méta-IA. Elles regroupent :
- la capacité à critiquer et à vérifier les réponses produites par l’IA ;
- l’aptitude à faire émerger des connaissances tacites à travers le dialogue avec la machine ;
- la maîtrise des différents modes de représentation (texte, image, son…) pour mieux comprendre et apprendre ;
- une posture réflexive sur l’acte d’apprendre et de connaître dans un environnement hybride.
Ce que cela change concrètement pour les enseignants dans la formation
L’enjeu n’est pas tant d’apprendre à utiliser tel outil ou telle plateforme IA, mais d’aider les enseignants à penser leur pratique dans un nouvel espace de co-construction du savoir. Cela suppose :
- de travailler sur des situations d’incertitude et de variabilité (ce que l’IA produit peut changer d’une fois à l’autre) ;
- de concevoir des activités où les apprenants justifient, comparent, reformulent les apports de l’IA ;
- d’évaluer non seulement le résultat mais aussi le processus d’interaction avec l’IA ;
- d’ancrer la formation dans des expériences concrètes d’exploration et de création avec l’IA.
Vers une pédagogie du bricolage et de l’incertitude
Les auteurs s’appuient sur la notion de « bricolage » de Lévi-Strauss et Papert pour illustrer la posture à adopter : explorer, ajuster, tester, interpréter… Plutôt que de chercher des vérités stables, il s’agit d’apprendre à naviguer dans un monde de connaissances génératives, parfois floues ou contradictoires. L’IAg devient alors un terrain de jeu cognitif, propice au développement de flexibilité intellectuelle, de pensée critique et de créativité.
Repenser l’évaluation et la formation
Cette (r)évolution appelle une transformation des pratiques évaluatives, où l’on ne juge plus uniquement le résultat mais la façon dont l’apprenant dialogue avec l’IA, reformule, questionne, ajuste. Les dispositifs de formation doivent également évoluer pour intégrer ces compétences à tous les niveaux, de l’école primaire à l’université, et c’est là tout l’enjeu de la réflexion du moment qui nous plonge dans cet état de bouleversement des pratiques.
Un virage épistémologique à assumer…?
En substance, ce que cet article nous appelle à considérer, c’est que la véritable innovation à déployer n’est pas tant technologique que pédagogique dans notre contexte. Il ne s’agit pas de s’adapter à l’IA, mais de repenser notre façon d’apprendre, d’enseigner, d’évaluer. Une invitation à concilier humanisme et intelligence artificielle dans l’air du temps que nous constatons actuellement, en cultivant chez les apprenants comme chez les enseignants une compétence centrale du XXIe siècle : savoir penser la pensée.
🌐 Source |
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Levin, I., Marom, M., & Kojukhov, A. (2025). Rethinking AI in Education: Highlighting the Metacognitive Challenge. BRAIN. Broad Research In Artificial Intelligence And Neuroscience, 16(1 Sup1), 250-263. doi:http://dx.doi.org/10.70594/brain/16.S1/21 |
Dernière mise à jour il y a 1 mois
Article très intéressant. Ça peut aider à traduire l’IA en termes de compétence pédagogique. Et merci pour le résumé audio de Notebook LM 🙂 En ce qui concerne l’évaluation des compétences métacognitives, j’aimerais citer l’article d’une autrice québécoise, France Côté, dans « L’évaluation des apprentissages au collégial » (2017) qui rappelle l’importance de l’évaluation du PPP : Produit (le résultat du produit final), Processus (comment l’étudiant en est arrivé à ce produit final, les outils, le savoir-faire mis en oeuvre etc. ) et Propos (comment l’étudiant parle de sa production, s’auto-évalue).